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Rongeurs nuisibles : une menace sous-estimée dans les pays en développement

Dans de nombreux pays en développement, les rongeurs nuisibles ne sont pas qu’une gêne au quotidien : ils représentent un véritable frein au développement. En détruisant les cultures dans les champs, en dégradant les stocks alimentaires après récolte, en propageant des maladies parfois graves, ils pèsent lourdement sur les conditions de vie de millions de personnes.

Face à des ressources limitées, une urbanisation rapide et des systèmes de gestion défaillants, ces pays sont particulièrement vulnérables. Les conséquences économiques, sanitaires et sociales de cette menace sont bien réelles.

Des cultures ravagées dès les champs

Les rongeurs nuisibles provoquent des dégâts considérables dès les premières étapes de la production agricole. Ils s’attaquent aux semis, grignotent les jeunes pousses, détruisent les tiges ou les épis à maturité. Ces pertes sur pied affectent directement les rendements et aggravent l’insécurité alimentaire.

Des études ont évalué le niveau de pertes dans les pays en développement les plus durement touchés :

-Au Kenya, les rongeurs sont responsables de 20 à 30 % de pertes dans les champs de maïs, et peuvent détruire jusqu’à 100 % du blé jeune lors de pics de prolifération. L’orge est également touchée, avec jusqu’à 34 % de pertes constatées dans certaines zones agricoles.

-En Éthiopie, les rongeurs s’attaquent à une large variété de cultures, avec des pertes estimées de 15 à 40 % pour les légumineuses et oléagineux, de 13 à 29 % pour les tubercules, de 9 à 48 % pour le café et jusqu’à 60 % pour le coton, selon les régions et les années.

-Au Myanmar, les pertes avant récolte peuvent atteindre 17 % des rizières en période de pic. Ces pertes touchent en priorité les familles paysannes, qui n’ont pas toujours les moyens de compenser une saison détruite par les rongeurs.

Sans protection efficace, sans campagnes de lutte coordonnées, les agriculteurs doivent faire face seuls à une menace persistante. Cette situation contribue à maintenir un cycle de pauvreté rurale, d’insécurité alimentaire, et de pertes économiques invisibles, dans des zones déjà fragiles face au changement climatique.

Pertes post-récolte : quand les stocks sont attaqués

Une fois les cultures récoltées, une autre menace survient : celle des pertes post-récolte dans les greniers, les réserves et les entrepôts. Dans de nombreuses zones rurales des pays en développement, les agriculteurs stockent leurs récoltes sur place pendant plusieurs mois. Or, ces stocks attirent irrésistiblement les rongeurs.

Les rats et souris y causent des dégâts multiples : sacs rongés, grains grignotés, grains souillés et contaminés par les excréments. Certains produits sont consommés malgré tout, avec des risques sanitaires. D’autres sont jetés, ou considérés comme invendables sur les marchés.

-Au Kenya, une étude a révélé qu’en l’espace de trois mois, entre 2,2 % et 6,9 % du maïs égrené stocké par les producteurs était endommagé par les rongeurs, et jusqu’à 18,3 % pour le maïs conservé en épi.

-Au Myanmar, les pertes dans les greniers familiaux sont estimées entre 4 % et 14 % du riz selon les années, ce qui représente pour certaines familles l’équivalent de plusieurs mois de nourriture perdue.

-En Inde, selon une estimation de la FAO (2001), 25 à 30 % des céréales post-récolte pouvaient être perdues à cause des rongeurs, entraînant des pertes économiques chiffrées en milliards de dollars. Bien que ces données soient anciennes, elles restent révélatrices d’un problème structurel, toujours d’actualité.

Dans les entrepôts de stockage ou portuaires, les pertes peuvent être tout aussi sévères. Au Bénin, au Port autonome de Cotonou, les rongeurs en nombre causent des dégradations importantes aux stocks alimentaires. (Source : Rongeurs envahissants et dégradations des stocks alimentaires : une étude au Port Autonome de Cotonou, Bénin 2020)

Cela menace non seulement la sécurité alimentaire locale, mais aussi les filières d’exportation et les programmes humanitaires.

Les rongeurs, vecteurs de maladies dans les pays en développement

Au-delà des pertes agricoles, les rongeurs nuisibles représentent une véritable menace pour la santé publique, en particulier dans les pays en développement. Leur proximité avec les habitations, les marchés ou les points d’eau, ainsi que l’absence d’infrastructures sanitaires fiables, favorisent la transmission de nombreuses maladies.

Les rongeurs sont porteurs de bactéries, virus ou parasites transmissibles à l’être humain, que l’on regroupe sous le nom de zoonoses. Parmi les plus connues dans les pays en développement, on trouve :

La leptospirose : transmise par l’urine des rongeurs, elle peut provoquer une fièvre sévère, des douleurs musculaires, voire une atteinte rénale ou hépatique.

La peste : toujours présente dans certaines régions d’Afrique ou d’Asie, elle est transmise par les puces de rats infectés.

– La fièvre de Lassa : fréquente en Afrique de l’Ouest, elle est causée par un virus transmis par les excréments ou l’urine du rat natal multimammaire (Mastomys natalensis), un rongeur très répandu dans la région.

Ces agents pathogènes peuvent infecter l’homme directement (par contact ou ingestion) ou indirectement (via l’air, l’eau ou des insectes vecteurs comme les puces ou tiques).

Des exemples concrets d’épidémies liées aux rongeurs sont fréquemment relayés dans les actualités :

-À Madagascar, la peste reste endémique. De violentes épidémies ont été enregistrées en 2014 et 2017, avec plus de 2 500 cas pour cette dernière.

-Au Nigeria, la fièvre de Lassa revient chaque année avec plusieurs centaines à milliers de cas. En 2024, plus de 2 000 cas ont été confirmés, avec une centaine de décès enregistrés.

-En Amérique du Sud ou en Asie du Sud, la leptospirose réapparaît fréquemment après des inondations ou des pluies abondantes. En 2018, dans l’État du Kernala, plus de 40 décès causés par la leptospirose ont été répertoriés après de graves inondations.

Ces exemples rappellent que les rongeurs ne sont pas seulement une nuisance domestique : ils constituent un réservoir permanent de maladies capables de se transmettre à grande échelle, notamment là où la prévention est difficile.

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à vous référer aux liens suivants :

https://oar.icrisat.org/10973/

https://www.researchgate.net/publication/301218785_Postharvest_impacts_of_rodents_in_Myanmar_how_much_rice_do_they_eat_and_damage

https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0255372

Pourquoi une vulnérabilité accrue dans les pays en développement ?

Dans de nombreux pays en développement, les conditions locales favorisent la présence et la prolifération des rongeurs nuisibles :
Une urbanisation rapide et désorganisée
Dans les grandes villes des pays en développement, la croissance démographique dépasse les capacités d’aménagement. Des quartiers entiers poussent sans planification, avec des habitations précaires, des espaces abandonnés et des décharges à ciel ouvert. Ces environnements sont idéaux pour les rongeurs, qui y trouvent nourriture, abri et absence de prédateurs. L’absence d’égouts, de gestion des eaux usées ou d’entretien des espaces publics permet aux populations de rats et de souris de proliférer en toute discrétion, jusque dans les habitations.

Une gestion des déchets déficiente
La collecte des ordures est irrégulière voire inexistante dans certaines zones rurales. Les déchets alimentaires s’accumulent dans les rues, les fossés, ou près des cours d’eau, ce qui alimente directement les colonies de rongeurs. Sans tri, sans compostage, sans enfouissement sanitaire, ces déchets deviennent une source permanente de nourriture, particulièrement en milieu urbain.

Des infrastructures inadaptées
Les structures de stockage des denrées alimentaires – qu’elles soient familiales ou publiques – sont souvent construites avec des matériaux peu durables. Toits en tôle mal fixée, murs percés, absence de ventilation ou de protections physiques : tout cela laisse le champ libre aux rongeurs. L’humidité, la chaleur, et la densité excessive des denrées stockées accélèrent la dégradation et rendent les lieux encore plus propices aux infestations. Dans les entrepôts portuaires ou les centres de distribution, l’absence de plan de lutte intégrée contre les nuisibles laisse les stocks vulnérables à des attaques de grande ampleur.

Des moyens de lutte limités
Dans les exploitations agricoles, les outils disponibles sont souvent rudimentaires : pièges artisanaux, poisons de fabrication locale, ou simples bâtons. Ces méthodes sont peu efficaces à grande échelle. Les produits professionnels sont coûteux, mal distribués, voire absents des circuits locaux. Quant aux campagnes d’information, elles sont quasi inexistantes, malgré les conséquences importantes des invasions de rongeurs sur l’économie locale.

Une prévention sanitaire insuffisante
Le contact quotidien avec les rongeurs accroît les risques de transmission de maladies. Mais les systèmes de santé fragiles empêchent souvent une réponse rapide. Manque de personnel, pénurie de médicaments, diagnostics tardifs ou absents : les maladies zoonotiques comme la leptospirose ou la fièvre de Lassa sont mal détectées et peu déclarées, ce qui favorise leur propagation.

Souvent négligés, les rongeurs représentent une menace sérieuse pour la sécurité alimentaire et la santé publique dans les pays en développement. Il est temps de reconnaître l’ampleur du problème et d’y répondre par des actions ciblées.

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